Prendre le petit chemin de terre

Il nous est probablement tous et toutes déjà arrivé de commencer notre journée comme à l’habitude, de prendre la route par un beau matin ensoleillée, puis de réaliser que notre horaire, supposément bien rempli, s’est miraculeusement libéré. Nos clients ont un empêchement, le magasin est fermé, notre rencontre a été déplacée, les enfants sont chez mamie, peu importe les raisons, on se retrouve avec quelques heures de liberté devant soi. Toujours au volant, le soleil qui pénètre la voiture de tous ses rayons, nos pensées se laissent porter par le calme soudain de notre esprit. La journée nous appartient. Les idées angoissantes nous quittent, notre corps se détend et une vague de bien-être nous envahit. Aujourd’hui, “The Sky is the Limit”. On baisse les fenêtres, on agrippe nos lunettes fumées et on s’élance en quête d’une destination digne de cette journée inespérée. 

Où pourrait-on bien aller ? Que pourrait-on bien faire ? Une randonnée en montagne ? Un café près d’un lac ? Une crème glacée dans le quartier de notre enfance ? Une marche dans un village que l’on souhaite visiter depuis longtemps ? Et pourquoi pas se laisser guider, tout simplement ? Le temps n’importe plus. La vitesse n’est plus nécessaire. On quitte l’autoroute et on prend la première sortie vers un village dont on a déjà vaguement entendu parler. Il est déjà 9h, la route est calme. Pour la première fois depuis très longtemps, le paysage qui défile devant nos yeux est complètement nouveau. Les arbres, les ruisseaux, les prairies et les petites maisons s’alternent pour former un tableau magnifique qui nous rappelle les vacances. Le vert de la nature a remplacé le gris de la ville. Le bruit des moteurs et des klaxons a fait place aux chants des oiseaux et des grillons. En fond, quelques tracteurs à l’œuvre dans les champs. Les panneaux publicitaires sont absents du décor. Sans même lever les yeux, on peut voir le ciel qui s’étend de tout son long. On s’arrête finalement dans un parc qui borde une petite rivière. On s’assoit sur un banc, à l’ombre d’un grand chêne, puis on savoure intensément cet instant de tranquillité et de bien-être inattendu. 

L’image du petit chemin de terre est une analogie avec la vie moderne. Bien sûr, l’autoroute a son utilité, tout comme les rails de chemin de fer. Elles permettent de parcourir de grandes distances rapidement. D’être plus efficace dans nos déplacements. Le problème se produit quand notre vie entière est dictée par le rythme de l’autoroute : aller plus vite vers notre prochaine destination. Les yeux rivés sur le derrière de la voiture qui nous précède, notre tableau de bord comme seule référence, on se soucie peu du chemin parcouru. On oublie qu’entre le début et la fin, il y a tout un monde à découvrir et devant lequel s’émerveiller. Aller toujours plus vite, pour revenir plus vite, d’accord, mais pour faire quoi ensuite ?

Prendre le petit chemin de terre, c’est s’accorder un moment de calme propice à la réflexion. Un moment à l’écart de la roue de la vie moderne, à l’écart de nos tracas quotidiens. Personnellement, la majorité des grandes décisions dans ma vie ont été prises dans des périodes transitoires ou dépaysantes, entre deux emplois, en arrêt de travail ou encore pendant un voyage. Pendant des moments où j’avais “quitté l’autoroute”. 

Si on souhaite appliquer un véritable changement à son mode de vie, devenir plus résilient, se rapprocher de la nature est un bon début. 

La main qui nous nourrit

On le sait depuis déjà longtemps, la nature s’érode à vue d’œil et la biodiversité poursuit son grand déclin année après année. En 2019, on comptait dans le monde près d’un million d’espèces animales et végétales menacées d’extinction. Pourtant, de plus en plus déconnecté de la nature et des liens fondamentaux et sacrés qu’il partage avec elle, l’être humain n’a jamais mordu si fort la main qui le nourrit. À ce rythme, il ne restera bientôt que la peau et les os.

Pour soutenir coûte que coûte la croissance économique. Pour maintenir notre mode de vie. Pour éviter à tout prix de bouleverser notre qualité de vie durement gagnée, nous continuons de détruire nos forêts, nos terres, nos océans, nos lacs et nos rivières. Guidés par l’appel alléchant de la croissance économique, nous avons pratiquement détruit à ce jour le trois quart de l’environnement terrestre et aquatique mondial

Submergés par le bruit assourdissant de notre mode de vie moderne, nous préférons pourtant ne pas y penser. Devant ce sentiment d’impuissance qui nous habite l’esprit, nous choisissons de monter le volume de la radio, en espérant qu’on y repasse en boucle le dernier palmarès des chansons populaires. 

On aurait pu croire que le développement phénoménal des communications et de l’accès à l’information aurait permis de changer les choses, mais non. Malgré la multiplication des documentaires dénonçant la situation, malgré la couverture médiatique de plus en plus grande, la vaste majorité d’entre nous poursuivons notre chemin bien tracé sans trop nous en écarter.

Reconnecter avec la nature

Comme disait Einstein, « tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide ». Si on suit cette logique, comment peut-on blâmer l’être humain de ne pas se sentir concerné par l’état accablant de la nature, de la biodiversité et du climat, s’il passe la quasi-totalité de sa vie cloisonné, isolé de la nature sauvage ?

Actuellement, plus de 80 % de la population mondiale habite les villes. C’est le résultat d’un exode rural massif qui a vu les campagnes siphonnées au profit de la croissance économique, de l’industrialisation et du développement urbain.

Tandis que les villes débordent jusque dans des banlieues qui n’en finissent plus, les campagnes sont vides. Si on semble constater un certain mouvement de « retour à la terre » depuis quelques années au Québec, nos enfants naissent, grandissent et découvrent la vie pour la plupart loin de la nature et de ces merveilles. Comme si c’était facultatif…

La place du poisson est dans l’eau. C’est-là qu’il se sent libre et heureux. C’est-là que son véritable potentiel peut fleurir. Pas dans un arbre. N’en déplaise à plusieurs, notre place n’est pas dans les villes (je reviendrai sur le « culte de la densification urbaine » dans un prochain article). Elle est dans la nature, entourés de toute sa beauté et des richesses qu’elle a à nous offrir. Si on ne peut aimer que ce que l’on connaît, alors c’est seulement en reconnectant avec la nature, avec le sauvage, que nous pourrons collectivement la protéger.

Se réapproprier nos campagnes

Si la famille paysanne québécoise a connu des périodes particulièrement difficiles au cours du 20e siècle, les choses ont bien changé depuis. Il existe aujourd’hui de nombreuses possibilités et opportunités pour les familles qui souhaitent vivre éloignées des centres urbains et posséder une fermette sur un petit lopin de terre.

Le modèle de la famille rurale traditionnelle a bien évolué depuis quelques décennies, et encore plus depuis les dernières années. On voit désormais émerger de plus en plus de familles néo-rurales au profil atypique, qui redéfinissent progressivement le stéréotype de la vie en campagne.

Loin de faire vœux de pauvreté, d’ignorance ou d’être condamné au dur labeur à perpétuité, ces familles prennent en main leur avenir dans un acte conscient et hautement réfléchi. Planifier à long terme, diversifier les sources de revenus, compter sur des connaissances et compétences variées, consommer moins et plus intelligemment, produire sa nourriture, autant d’avenues permettant de vivre décemment, simplement, en nature.

Délaissé par les familles québécoises et abandonné par nos gouvernements, le terroir québécois est aujourd’hui à la merci des spéculateurs et des grandes entreprises agricoles et forestières. Les fermes familiales, jadis nombreuses, continuent de disparaître au profit des grands producteurs, si bien que de nos jours, aménager une « petite » ferme qui génère assez de revenus pour pouvoir en vivre (à différencier de la fermette dont il est question ici) semble à peu près « impossible »(lire à ce sujet « La Ferme impossible, de Dominic Lamontagne, voir note 1).

Quoiqu’il en soit, nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre après nos gouvernements. On le voit année après année sur la scène internationale. Malgré les cris d’alertes des scientifiques, malgré les manifestations toujours plus nombreuses, les dirigeants échouent lamentablement à s’entendre pour protéger le climat, tout comme ils échouent dans leur rôle de leader. Devant un enjeu aussi grand pour le sort de l’humanité, sensibiliser la population et obtenir l’appui populaire devrait être un jeu d’enfant. Or, force est de constater qu’ils manquent de convictions, de vision et de courage politique. Qu’ils ont d’autres priorités. Quand ils seront fin près, quand ils n’auront plus le choix, il sera trop tard.

Donc, plus le temps d’attendre ! De toute façon, ça fait trop longtemps déjà qu’on remet le sort de l’humanité, celui de nos enfants, entre les mains de parfaits inconnus qui voient difficilement plus loin que le jour de leur réélection. Il est plus que temps pour la famille de se réapproprier les campagnes et de reconnecter avec la nature.

Il est temps de réapprendre à aimer cette belle biodiversité qui nous entoure, à vivre de la forêt et de la terre. Nous le devons en respect à toutes les générations de femmes et d’hommes qui se sont succédés et qui nous ont légué un savoir durement acquis au fil de milliers d’années de connection avec la nature. Nous le devons à nos enfants, qui n’ont pas à subir les dures conséquences des choix imposés par la société de consommation, de nos choix matérialistes et égoïstes. Qui devraient pouvoir ouvrir la porte de la maison et courir pieds nus dans le champs, respirer de l’air pur, se réveiller au chant des oiseaux, entendre le murmure des feuilles, jouer à cache cache dans la forêt…

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  1. À noter que l’auteur de La Ferme impossible parle d’une ferme comprenant 2 vaches, 200 poules et 500 poulets à chair, une ferme tout de même relativement grande en comparaison au style de « fermette » dont il est question dans le cas de la Famille résiliente