* Cet article fait partie d’une série de sept articles intitulée “L’après-crise : choisir la résilience”.
La pandémie nous fait réaliser à quel point on est pris à la gorge par notre rythme de vie, et par le cercle vicieux dans lequel nous avons maintenant, comme familles, les deux pieds bien enfoncés. Dans lequel, comme l’a dit un certain Oscar Wilde, les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien…Et tout particulièrement la valeur d’une famille heureuse et unie.
Dans le sillon de la COVID, on a beaucoup entendu parler des cas de violence conjugale et de maltraitance d’enfants au Québec. On réalise avec tristesse que, pour tant d’entre nous, les familles sont bien loin d’être sources de bonheur et de réconfort. Elles sont, bien au contraire, dangereuses pour leur vie. Pour ces personnes, « reconnecter avec sa famille » n’est peut être pas la meilleure solution.
Cela dit, ces histoires nous démontrent encore plus la détresse qui sévit au sein de bien des familles québécoises. Ces familles qui aujourd’hui vivent de la violence physique ou psychologique étaient peut-être hier de simples familles ordinaires, où tranquillement la colère, la solitude et la dépression ont pris le dessus sur l’amour, l’ouverture, la confiance.
Au moment où les problèmes de santé mentale semblent explosés, on n’entend que trop peu parler du rôle fondamental de la famille pour prévenir la détresse psychologique. Et pourtant, les familles soudées et complices ne peuvent que favoriser le développement d’enfants et de parents plus résilients lorsque des épreuves difficiles se présentent à eux. Et comme la santé mentale est si importante du point de vue de la résilience, voilà pourquoi apprendre à reconnecter avec sa famille m’apparaît être une étape essentielle.
Échapper à la “rat race”
Ce n’est pas compliqué. Plus une chose est importante pour nous, plus on y accorde du temps. Sur cette base, si on souhaite faire de la famille une priorité, il faut lui accorder plus de temps.
Or, pour payer toutes ces choses que l’on choisit d’acheter, la plupart d’entre nous doit travailler à temps plein (35 ou 40 heures par semaine), pendant la très grande partie de leur vie. Plusieurs diront : « mais, il faut bien vivre. Non ? » 1 . Oui, bien sûr, mais disons que de nos jours le mot “vivre” a le dos large.
La vérité, c’est que pour une famille typique avec de jeunes enfants, la réalité du temps plein pèse généralement très lourd sur le rythme de la vie familiale. Elle nous entraîne, pendant des années, dans une course sans fin (la “rat race”), où on court littéralement d’une journée à l’autre, essayant tant bien que mal de concilier travail et famille. Où, à travers nos mille et une obligations, le temps semble désespérément manquer.
La rat race symbolise la course de l’homme moderne après le temps, un meilleur salaire, un meilleur statut social, pour en définitive consommer afin de compenser le vide existentiel qui subsiste
– Wikipédia –
Revenir à l’essentiel
“By slowing down, our connections with our children and as a family inherently become deeper, our creativity thrives, and we find meaningful ways to fill our time.”
– The Rythme of Family –
Mais manquer de temps pour quoi, au juste, me demanderez-vous ? Eh bien, pour toutes ces belles résolutions du nouvel an. Pour toutes ces citations inspirantes que vous regardez de temps en temps en vous disant : “c’est dont ben vrai”. Pour toutes ces activités essentielles à un mode de vie sain, à notre bien-être. Pour prendre soin de nous-mêmes, de nos enfants, de notre couple, de notre milieu de vie. Pour être autre chose que des « acteurs de l’activité économique ». Pour réfléchir, se questionner, planifier, changer. Observer, écouter, communiquer, apprendre, s’améliorer, partager, aimer. S’amuser, s’entraîner, lire, danser, écrire, dessiner, dormir. Cultiver, jardiner, construire, voyager.
Réduire massivement sa consommation
“Il y aurait, en moyenne, 300 000 objets dans la maison d’un Américain typique”
“En Grande-Bretagne, un enfant de 10 ans possède en moyenne 238 jouets, indique une recherche. Or, celui-ci ne joue qu’avec 12 d’entre eux chaque jour.”
Le monde dans lequel nous vivons est un véritable laboratoire marketing. Les publicités sont omniprésentes dans nos vies et nous bombardent de tentations plus farfelues et inutiles les unes que les autres. On en vient à croire qu’on a véritablement besoin de telle nouvelle voiture, ou du dernier gadget à la mode, ou encore de cette belle maison en banlieue de la métropole. Et à l’époque des téléphones intelligents et du magasinage en ligne, je vous laisse imaginer la suite. Pour citer Pierre-Yves McSween dans son dernier livre4, « nous sommes tous humains et le système travaille fort contre nous ».
Le pire, ce n’est peut-être pas tant de succomber aux tentations de la société de consommation, mais bien de penser qu’on en a les moyens. Aujourd’hui, au pays, pour chaque dollars de leur revenu annuel net d’impôt, les familles doivent en moyenne 1,75 $5. Imaginez, en six ans seulement (entre 2013 et 2019), “la dette moyenne à la consommation des Québécois a bondi de 73 %”. Oui oui, 73 % ! Et ce chiffre exclut l’hypothèque. C’est donc annuellement près de 8 000 $ de plus par année qui sont dépensés en biens de consommation, pour un grand total de 18 000 $ ! Ça, c’est du net. C’est donc plus ou moins l’équivalent de 23 500 $ brut, soit environ 25 semaines ou 6 mois de travail à temps plein à un salaire de 25 $/h. Oui, cela inclut l’épicerie et bien des services essentiels me direz-vous. Mais de ce montant, on évalue que 60 % serait dépensé uniquement pour des objets, c’est-à-dire pas loin de quatre mois de travail à temps plein…Ça fait réfléchir sur nos priorités tout ça.
Bref, soyons honnêtes avec nous-mêmes : on vit au-dessus de nos moyens. Pour la grande majorité des familles québécoises, ce rythme de consommation est insoutenable et incompatible avec l’objectif de famille résiliente.
Sortir de la dépendance
La dépendance se manifeste habituellement par le besoin irrépressible et incontrôlable de consommer ou d’adopter un comportement […] Ces comportements peuvent être sains lorsque modérés, mais lorsqu’ils causent une détresse significative ou des difficultés importantes au niveau du fonctionnement social, au travail ou dans une autre sphère de la vie, on parle plutôt d’un trouble.
– AQPAMM, 2020 –
Née d’une rencontre entre le fordisme et le keynésianisme (d’où a émergé “l’American way of life”), la surconsommation a rapidement fait son chemin dans nos vies pour devenir une véritable dépendance, voire un trouble. Comme la plupart des dépendances, celle-ci a des conséquences bien réelles sur la vie des gens et des familles. Comme l’explique le philosophe Bernard Stiegler :
“Le consumérisme […] c’est le triomphe du marketing: vendre n’importe quoi à n’importe qui. Ce modèle qui détourne tous les désirs du consommateur vers les objets de consommation se développe tout d’abord de manière heureuse – c’est le plein emploi – mais il se transforme rapidement […] Alors règne la consommation addictive fondée sur la satisfaction immédiate des pulsions. Le résultat est que la société de consommation ne devient plus productrice de désirs mais de dépendances […] Le consommateur y devient malheureux comme peut l’être le toxicomane qui dépend de ce qu’il consomme mais déteste ce dont il dépend. D’où une frustration grandissante et des comportements qui inquiètent comme la destruction de la structure familiale, la peur des adultes à l’égard de leurs propres enfants ou une déprime généralisée.”
S’il n’est pas, à proprement parler, responsable de cette addiction, le crédit n’en est pas moins complice. En fait, le crédit est à la surconsommation ce que l’abattoir est à la consommation de viande. Ce n’est pas de la faute de l’abattoir si on mange de la viande d’épicerie, mais s’il fallait tuer soi-même l’animal, puis l’éviscérer, le vider, le découper en morceaux et le portionner, peut-être qu’on y penserait plus sérieusement avant de tuer un animal. Peut-être qu’on mangerait un peu moins de viande. S’il fallait tout payer à l’avance, on réaliserait mieux le véritable coût de ce que l’on consomme et peut-être que l’on consommerait moins.
Quand on se laisse prendre au jeu (et c’est le cas de la majorité), le crédit nous offre une vie de rêve à court terme, et de misère à long terme. Il nous permet d’acheter la maison de nos rêves et de s’offrir pleins de beaux cadeaux, mais nous condamne à être esclaves de notre prochaine paie.
Je ne donnerai pas ici de formule miracle pour sortir de la dépendance à la consommation. La vérité, c’est que je n’en connais pas. Par contre, déjà d’être conscient des impacts de notre consommation excessive sur notre capacité à prioriser les choses essentielles, à être plus autonome, indépendant financièrement et résilient comme individus et comme familles, c’est en soi un immense pas vers l’avant. Ensuite, aligner vos actions avec cette pensée vous ouvrira la porte une panoplie de nouvelles perspectives.
- Voici quelques textes intéressants si vous souhaitez approfondir la question de la dépendance à la consommation : https://gresea.be/La-consommation-est-une-addiction; https://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20090723trib000402565/bernard-stiegler-le-consumerisme-a-atteint-ses-limites.html; https://www.cairn.info/revue-multitudes-2013-1-page-193.htm; https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2014-3-page-89.htm